Célébration oecuménique avec les Chrétiens d'Orient
Notre Dame du Liban – Paris (diffusion le 24 janvier 2016) - Textes intégraux : mot d’accueil et prédications
Mot d’accueil
Mgr Maroun-Nasser Gemayel, Evêque des Maronites en France
Chers frères et sœurs, chers bien aimés.
Permettez-moi d’abord de vous souhaiter la bienvenue dans cette cathédrale ND du Liban. C’est un moment historique car presque toutes les Eglises orientales en France sont présentes. Historique aussi, car votre présence : cardinal Vingt-Trois, Monseigneur Emmanuel et Pasteur Clavairoly marque votre soutien à la détresse que vivent en ce moment les chrétiens d’Orient.
La guerre en Syrie et en Irak détruit le tissu social du vivre ensemble entre chrétiens et musulmans. Toutes les communautés de nos pays sont victimes de l’horreur et de la folie humaine.
Seule la prière est capable de nous réunir, seul le Seigneur peut nous aider à vivre en Lui, et vivre avec Lui le drame intolérable qui frappe les chrétiens d’Orient. Nous ne cessons d’appeler le Seigneur au secours et de lui demander de mettre dans le cœur de tous la miséricorde, tout le don inépuisable de l’Espérance.
Nous allons prier aujourd’hui pour les victimes, nos martyrs, ceux qui sont morts parce qu’ils étaient chrétiens.
Mais en cette semaine de prière pour l’unité, comment ne pas reconnaitre que la communion entre nous, ne sera pas le fruit des débats théologiques, mais que seule la prière et notre vie de chrétiens peuvent sauver notre unité.
Laissons de côté nos particularismes et cessons de nous appliquer des étiquettes. Nous ne sommes ni catholiques, ni orthodoxes, ni protestants, mais membre du corps du Christ. Eglises d’Orient et d’Occident nous ne formons qu’une l’Eglise Universelle.
Si le Christ est présent au cœur de notre prière, c’est pour signifier que ce moment est une étape sur le chemin du Royaume.
Bienvenue à vous tous, et aux téléspectateurs de France 2 qui s’unissent à notre prière commune.
Bienvenue à vous cardinal Vingt-Trois, Mgr Emmanuel, Pasteur Clavairoly.
Bienvenue à vous tous Evêques, prêtes, pasteurs, diacres toutes les Eglises présentes. Je veux les citer par ordre alphabétique : Arménienne apostolique, Arménienne catholique, arménienne évangélique, catholique latine, chaldéenne, copte catholique, copte orthodoxe, Ethiopienne orthodoxe, Evangélique baptiste, Grecque orthodoxe de Grèce, Grecque orthodoxe d’Antioche, Grecque Melkite catholique, Gréco catholique roumaine, Gréco catholique ukrainienne, Maronite, Protestante Unie de France, Syriaque catholique, Syriaque orthodoxe. J’espère que je n’ai oublié personne. C’est magnifique, cela fait 18 Eglises différentes. Merci d’être là pour être témoin ensemble de notre foi.
1ère Partie : mémoire du martyr des Chrétiens d’Orient hier et aujourd’hui.
Lecture 1 : Jérémie 29, 11-14 – Icône « fuite en Egypte »
Mgr Emmanuel, Président de l’Assemblée des évêques Orthodoxes de France
Ce soir, nous ne prions pas seulement pour nos frères et sœurs d'Orient. Ce soir nous prions avec nos frères et soeurs d'Orient dont le cheminement historique est malheureusement symbolisé par cette icône de la fuite en Égypte. La fuite des chrétiens d'Orient constitue non seulement leur sortie de l'Histoire, mais aussi la rupture spirituelle de notre foi en tant que mémoire d'un mystère dont l’Église est le prolongement, d'une réalité dont l’Église est l'avènement, celle du Royaume.
En écho à la lecture biblique que nous venons d'entendre du prophète Jérémie, la question qui doit ce soir nous interpeler consiste à savoir si nous cherchons encore le Seigneur. En effet, tout nous semble donné, tout nous paraît offert et l'expression de notre foi, malgré un contexte de forte sécularisation, jouit d'un espace de liberté que beaucoup nous envient. Cependant, le confort de nos Églises, de nos communautés, ne doit pas nous faire perdre de vue que la foi, même si elle est confiance et espoir, n'en est pas moins une interrogation de tous les instants. C'est une interpellation constante de Dieu qui se donne malgré nos propres faiblesses et alors que nous scrutons avidement sa présence. Pour autant, la recherche de Dieu ne va pas sans faire l'expérience de son amère absence, voire du vide laissé par une grâce devenue intangible à nos yeux. Cette mise en abyme du néant par lui-même fera jaillir la grâce transfiguratrice du Seigneur. Rappelons ces mots du prophète Jérémie que nous venons tout juste d'entendre : « Vous me chercherez du fond de vous-mêmes, et je me laisserai trouver par vous. »
Les chrétiens d'Orient font essentiellement partie de ce « fond de nous-mêmes ». Ils sont à la fois l'Histoire et notre Histoire que la récente constitution de flux migratoires, en raison des conditions géopolitiques du Proche Orient, est en train de voir disparaître inexorablement.
Je rappellerai seulement que les chrétiens d'Orient sont bien des médiateurs dans le temps et dans l’espace des sociétés dans lesquelles ils se trouvent. Par médiateur, j’entends qu’il existe une intelligence spontanée et naturelle permettant des rapports pacifiés avec les sociétés majoritairement musulmanes dès lors que ces mêmes sociétés sont en capacité d’appréhender la modernité de leur pluralisme traditionnel. Les réactions à la modernité ont porté le radicalisme à voir dans les communautés chrétiennes et les autres minorités ethno-religieuses des vecteurs de sécularisation qu’amplifiait l’altérité dont ils sont porteurs. Pourtant, ne sont-ils pas des natifs, pour ne pas dire des « naturels » de cette région ? Continuons donc à nous souvenir d’eux, à agir en leur faveur, à faire valoir leur droit à vivre et à exister sur ces terres qui ont vu naître notre foi. Prions tout particulièrement pour la libération immédiate du Métropolite Paul Yazigi et de Monseigneur Youhana d’Alep, dont la disparition est survenue en Syrie, en avril 2013. Sans oublier le père Paulo dall’Oglio du monastère de Mar Moussa, ainsi que tous ceux qui sont tombés sous le coup de l’extrémisme.
Les chrétiens d'Orient doivent devenir notre horizon œcuménique, non seulement en tant qu'œcuménisme de « sang » comme a pu le dire Sa Sainteté le Pape François, mais comme un œcuménisme fraternel et solidaire qui consiste à prier pour les chrétiens d'Orient et avec les chrétiens d'Orient.
2ème partie : l’entente et la paix entre les Eglises
Lecture Ephésiens 2, 13-19 – Icône « Pierre et André »
Pasteur François Clavairoly – Président de la Fédération Protestante de France
Jésus-Christ a détruit le mur de séparation : la haine.
Combien de foi cette phrase a-t-elle été méditée mais finalement oubliée et même humiliée au cours des siècles ! Au sein des premières communautés chrétiennes, entre juifs et chrétiens, Dieu sait si cette haine fratricide a été meurtrière, et puis entre chrétiens et non chrétiens, et encore au fond des prisons, dans les cachots des persécutés, lors des conflits qui ont déchiré les Eglises, il y a quelques siècles. Devant un tel message de paix, les chrétiens n’ont pas suffisamment été à l’écoute, loin s’en faut, même s’ils en ont gardé le texte dans le Nouveau testament.
Aujourd’hui, nous méditons toujours ces mots, mais en présence de haines nouvelles qui risquent encore de déchirer notre société. Mais de quoi s’agit-il exactement? Ce mur de séparation est sans doute une image pour désigner tout ce qui nous divise, tout ce qui diabolise l’autre, tout ce qui nous empêche de voir l’autre différent comme il est vraiment, et non pas seulement comme « nous pensons » qu’il est. Cette image de la séparation comme un mur de haine illustre, à bien des égards, ce que nous vivons en nous-mêmes et entre nous, chrétiens et citoyens de ce monde. Et elle figure assez bien qu’il y a un obstacle à franchir, à supprimer, et c’est un mur qui empêche le regard, la rencontre, le dialogue confiant. C'est un mur identitaire qui serait comme « construit en nous-mêmes » ou alors autour de nous, comme si nous étions murés ou emmurés dans nos certitudes, nos affirmations "convictionnelles", nos façons de voir, au point de ne pas nous laisser délivrer, car ce mur est trop haut, trop solide pour être franchi ou abattu.
Or voici que l’apôtre nous alerte et nous encourage. Il nous alerte sur cette haine et cette violence toujours possibles et qui affleurent très vite dans nos cœurs, sur nos visages, sur nos lèvres, dans nos attitudes, nos comportements, nos propos, et il nous faut y prendre vraiment garde en société comme en privé.
L’apôtre nous veut responsables et non pas irresponsables dans nos propos et dans nos prises de position.
Il nous encourage à comprendre que l’autre différent que l’on croit étranger, n’est pas étranger en vérité, mais bien frère ou sœur. Il nous encourage à bâtir une Eglise et une société de confiance et non pas d’ignorance, de défiance ou de mépris. Et au sein de l’Eglise, où nous pouvons toujours commencer et recommencer ce travail, il nous appelle à reconnaitre que la différence ne doit pas être un motif ou un prétexte de haine ou de séparation, mais bien le début d’un chemin de rencontre. Car nous sommes tous appelés à nous comprendre, en Christ, c’est-à-dire à être à être « pris ensemble » emmenés ensemble selon la même promesse, nous sommes appelés à vivre l’aventure de cette promesse encore inaccomplie : et comme disait Ricœur, « la compréhension de l’autre est une aventure redoutable ». Mais si nous la redoutons, nous voulons cependant la vivre. Telle est notre utopie et notre folie !
La promesse œcuménique a certes été longtemps ignorée. Elle l’est encore, pour beaucoup. Et l’idée d’appartenance à une même famille, comme l’écrit l’apôtre, est parfois récusée par ceux qui restent enfermés dans l’illusion qu’ils auraient raison contre tous. Or l’apôtre nous dit aujourd’hui avec ses mots que nous ne pouvons être chrétiens tous seuls, que nous ne pouvons être Eglises tous seuls, car le Christ lui-même vient détruire les raisons de cette solitude et de cet enfermement. Il a même une phrase que je veux reprendre et vous laisser en mémoire, pour finir, car elle est étonnante et unique et elle concerne, bien au-delà des chrétiens, tous ceux qui veulent participer au vivre ensemble que nous recherchons tous en ces temps de violence : là, il a tué la haine. Là, sur la croix, c’est-à-dire par un geste d’abandon et de miséricorde, il a renoncé à tout pouvoir et toute violence, pour que nous aussi suivions cette voie de miséricorde et de paix. Amen.
3ème partie : l’Espérance donnée par le Christ
Lecture Evangile Matthieu 5, 13-16 - Icône de la Résurrection
Cardinal André Vingt-Trois, Archevêque Catholique latin de Paris et Ordinaire des Orientaux Catholiques n’ayant pas d’évêques en France.
Depuis plus de 2000 ans, l’Évangile rejoint les générations humaines dispersées à travers le monde. Les communautés des chrétiens d’Orient ont été parmi les premières à vivre cette mission. Elles continuent à la vivre. Depuis les temps apostoliques, être chrétien, c’est demeurer fidèle à cette mission d’être lumière du monde et sel de la terre.
Pour répondre à ce que le Christ attend de nous dans ce discours adressé à ses disciples, il faut d’abord que nous soyons convaincus que notre participation à la vie du Christ et l’accueil que nous faisons de l’évangile, apporte quelque chose d’unique dans le monde. Il n’y a de lumière qui se perçoive que si elle brille dans les ténèbres, il n’y a de sel qui s’apprécie que s’il apporte du goût à une certaine fadeur.
Nous ne pouvons pas espérer être la lumière du monde et le sel de la terre sans cette conviction profonde que l’évangile est une source d’espérance pour les hommes, et pas simplement pour nous, et que notre fidélité à l’évangile et notre désir de suivre le Christ sont importants non seulement pour chacune et chacun d’entre nous, mais pour l’humanité tout entière. Si nous laissons s’éteindre la lumière de l’évangile, si nous laissons s’affadir le sel de la parole de Dieu, nous ne sommes pas seulement peu prudents en renonçant à ce qui pourrait nous être utile, nous sommes des traîtres par rapport à l’attente de ceux qui nous entourent.
Oui, l’évangile du Christ, notre foi chrétienne sont une véritable ressource pour l’équilibre et pour l’accomplissement de la vie du monde. Nous ne constituons pas une hypothèse parmi d’autres hypothèses, nous ne construisons pas une idéologie parmi d’autres idéologies, nous sommes le corps ressuscité du Christ et nous sommes porte-paroles du Christ lui-même. Et c’est parce que nous avons à porter cette parole du Christ, c’est parce que nous avons à vivre cette vie de l’évangile, que nous devons espérer de toutes nos forces que l’Esprit de Dieu habite nos cœurs et mobilise nos énergies.
Mais voilà : comment être la lumière du monde ? Comment être le sel de la terre ? Comment briller dans les ténèbres ? Comment apporter du goût dans la morosité ? Comment être témoins de l’espérance et de la joie alors que la violence et la haine sévissent en tant de pays du monde, pour les chrétiens qui vivent en Orient ou notre propre ville ?
Notre énergie vient de la personne du Christ lui-même : « Car j’ai décidé de ne rien savoir parmi vous - dit saint Paul - sinon Jésus Christ et Jésus Christ crucifié » (1 Co 2,2). C’est la folie de la croix qui se confronte sans cesse à la sagesse du monde. En annonçant le Christ mort et ressuscité - comme nous pouvons le contempler sur cette icône - nous proclamons que la véritable sagesse de Dieu ne se manifeste pas dans la puissance humaine mais dans sa faiblesse puisque Dieu peut faire jaillir la vie de la mort comme il l’a déjà fait en son Fils. Nous percevons alors que cette faiblesse n’est ni une honte, ni un handicap, ni une réalité qui conduit au désespoir ou au fatalisme mais qu’elle est au contraire la force sur laquelle nous pouvons nous appuyer.
Être lumière du monde, être sel de la terre, c’est concrètement répondre aux attentes de celles et ceux qui nous entourent. C’est pour chacun, selon ses possibilités, ses moyens, ses disponibilités, mettre tout en œuvre pour qu’aujourd’hui la violence de l’existence humaine ne soit pas destructrice, mais devienne le lieu d’une espérance pour l’avenir.
« Tu appelleras et le Seigneur répondra, tu hèleras et il dira « Me voici ! » nous dit le prophète Isaïe (Is 58,9). Les inquiétudes et les questions que nous pouvons nous poser, et qui sont réelles et légitimes, ne peuvent pas recevoir la lumière du Christ si nous ne mettons pas cette lumière au service de nos frères. Les solutions à nos questions, ce sont les solutions que nous essayons d’apporter aux drames du monde. Répondre à nos interrogations, c’est d’abord nous mettre en marche pour faire quelque chose au service de nos frères, tout spécialement pour et en communion avec nos frères chrétiens d’Orient. Amen.