Chrétiens Orientaux sur France 2, une émission des Églises orientales catholiques et orthodoxes présentes en France. Vie et Foi des Chrétiens d’Orient.

un témoignage sur le monaschisme oriental

Abouna Wadid, moine du monastère de saint Macaire en Egypte

Abouna Wadid est rentré en 1970 au monastère de Saint Macaire dans le Wadi Natrum (désert à deux heures de route du Caire).

Nous l’avons rencontré au mois de mai 2019 lors du tournage d’un documentaire sur les moines Coptes Orthodoxes dans le Wadi Natrum. lors de la diffusion du documentaire, nous n'avions pas pu diffuser l'intégrale de l'itw. Nous vous la proposons en entier (le style oral de l’interview a été gardé).

Pourquoi avez-vous choisi de devenir moine ?

A l’âge de 4 ans, j’ai su que le Christ était mort pour moi. Alors, depuis mon enfance, je voulais donner ma vie au Christ. Mais on me faisait différer cela : les pères confesseurs me disaient « non, il faut encore continuer vos études scolaires », « il faut continuer l’université », ensuite, « il faut encore travailler dans le monde pour être bien sûr »... Mais pour moi, ça n’a jamais changé.

Donner sa vie au Christ c’était ça l’essentiel. Si Lui est mort pour moi, ce n’est pas trop de vivre pour lui. C’est le moins que l’on puisse faire.

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A quoi sert un moine ?

Un moine ça ne sert à rien, c’est ce que tout le monde constate ! On dit, s’il était dans le monde, il aurait gagné des millions, il aurait pu donner aux pauvres, il aurait pu enseigner, il aurait pu...

Quand on veut une utilité, on ne se fait pas moine. On est moine pour Être être ce que le Seigneur a voulu de toute éternité que soit l’être humain.

Avant la fondation du monde, nous avons été choisis pour être saint et sans tache devant Lui, dans l’amour. C’est le début de l’épître aux Éphésiens dans laquelle St Paul dévoile pourquoi nous avons été créés et par conséquent pourquoi tout le cosmos a été créé. Le cosmos a été créé pour l’homme, pour pouvoir donner existence à l’être humain qui est vraiment le couronnement de toute la création. Alors quand on découvre le but final de l’existence humaine, on découvre par le fait même le but de l’existence de tout le cosmos.

Pour être dans sa présence devant Lui, saint et sans tache dans l’amour, pour entrer en communion avec l’Être suprême. L’union de la créature avec le Créateur, c’est cela le but final de toute la création.

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Quelle est la spécificité de la vie monastique ?

La vie monastique ce n’est pas une vie exceptionnelle. C’est la façon la plus commune de se donner au Christ. C’est simplement la vie chrétienne, mais vécue d’une façon plus sérieuse, avec plus de concentration. Tout l’idéal monastique n’est pas différent de l’idéal des premières communautés chrétiennes, comme on le lit dans les épîtres de St Paul et des autres apôtres. L’idéal chrétien est de réaliser le but final de l’existence humaine.

Le moine a une vie humaine tout à fait normale. Il travaille comme n’importe quelle autre personne. Il a ses études, se nourrit, donne aux pauvres, prie comme tout être chrétien. Seulement il donne un peu plus d’importance à cette dimension spirituelle. C’est tout !

Quel est le sens de la prière ?

Toute prière a comme finalité dernière l’union à Dieu. Même si c’est une prière de conversion, de componction, de repentance… elle est toujours ordonnée vers le but final de l’existence humaine.

Comment priez-vous ?

Voilà une question à laquelle on ne peut pas répondre, excusez-moi ! C’est comme si on demandait à quelqu'un comment tu t’unis à ta femme, ça ne se dit pas !

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Mais au monastère, il y a des temps de prière personnelle et des temps de prière communautaire.

Oui, ce sont les diverses formes de la prière. Le moine commence à 3h du matin par une prière personnelle. Pendant une bonne heure, il dit la prière de « minuit » selon la tradition monastique.

Elle se concentre dans le grand Psaume 118. C’est un très long psaume qui a 22 strophes, et chacune de ces 22 strophes a 8 versets. Ça fait 176 versets. Chaque verset a au moins une fois le mot  un de ces mots « Ta Parole, Ta Loi, Ton Commandement » et tous les synonymes qui donnent le même sens. C’est un psaume qui a été écrit par les justes de l’Ancien Testament, pour célébrer l’attachement à la Loi, à la Parole de Dieu. Ce psaume nous ramène un peu à l’Ancienne Alliance.

Par contre, je vous dirai que la Parole aujourd’hui, c’est une parole incarnée, c’est le Christ. L’attachement à la Parole, c’est l’attachement au Christ. Alors, quand le moine médite ces 176 versets, il pratique son attachement à la Parole, à la Parole incarnée qu’est le Christ.

À 4 h, la cloche sonne et les moines se rassemblent à l’église. Nous avons alors de 4h à 6 h l’office de la psalmodie. Psalmodier dans votre langue ça veut dire réciter les psaumes. Chez nous ça veut dire réciter des cantiques qui sont psalmodiés. Nous chantons des psaumes et des textes bibliques.

Pour les psaumes, ce sont, le 135 - dont le refrain est « car éternel est son amour » - et pour terminer l’office, les trois derniers psaumes : 148, 149, 150. Pour les autres textes bibliques, ce sont, le Chant de Moïse après la traversée de la mer rouge dans Exode 15, et le cantique des trois enfants dans la fournaise de Babylone. Tous ont des mélodies très anciennes qui, très probablement, ont des origines pharaoniques.

Par ailleurs, nous avons une réunion de prière hebdomadaire animée par les jeunes (certains  anciens aiment aussi y assister). Chacun prie à son tour, une prière tout à fait spontanée, ça rassemble les cœurs.

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Quel est le sens de cette prière communautaire, et quelle est la différence avec la prière personnelle ?

Dans notre tradition, la prière personnelle est plus importante que la prière communautaire. Mais la prière communautaire est importante pour les moines qui travaillent ensemble. Nous expérimentons cela tous les jours. Le travail est toujours l’occasion d’avoir des idées différentes, mais quand on a prié ensemble, tout cela passe très facilement. La prière commune donne à la vie commune son goût spirituel, son odorat, son parfum.

Il faut bien savoir que dans l’autre monde, il n’y aura que des prières communautaires. Quand on lit dans le livre de l’Apocalypse (St Jean a vu les prières de l’autre monde) toutes les prières sont communautaires : on chante ensemble.

Les anachorètes (les ermites) comme St Antoine ou St Paul de Thèbes priaient dans leur grotte en communion avec l’Église entière. St Antoine disait : « sachez mes enfants que la vie de chacun de nous dépend des autres ». Notre vie dépend les uns des autres ; qu’un cénobite (un moine vivant en communauté) comme Pacôme dise une telle parole ce n’est pas étonnant. Mais que cela sorte de la bouche d’un anachorète (ermite) qui a passé des années sans voir personne, cela dit que la prière de l’anachorète n’est pas solitaire. Il vit bien dans la solitude, mais il n’est pas solitaire. Il vit toujours en communion avec l’Église entière.

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Quel style de monachisme vivez-vous au monastère de saint Macaire ?

La tradition de St Macaire est intermédiaire entre l’anachorétisme (l’érémitisme) de St Antoine et la vie cénobite (communautaire) fondée par St Pacôme. Ici dans notre désert ça a toujours été très souple. Nous avons une vie anachorétique mais, si on peut dire, vécue un peu en commun.

Dans les premiers temps, il n'y avait pas de monastère. Il y avait un ancien qui vivait dans une grotte et à côté de lui 5 ou 6 disciples. Tout le désert était plein de grottes à quelques centaines de mètres les unes des autres. Le samedi soir, tous les moines venaient à l’église centrale, et la nuit c’était la fête hebdomadaire de tous les moines. On commençait par une liturgie eucharistique le soir (c’est assez étonnant dans l’antiquité). Ensuite pendant toute la nuit, il y avait des prières, des louanges, des questions posées par les jeunes et des réponses données par les anciens. A la fin de la nuit, juste avant le lever du soleil, il y avait une Eucharistie et après un repas d’agape en commun.

Comment se faisait ce repas d’agape?

C’était un repas presque liturgique. Vous savez que le Christ a institué l’eucharistie au court d’un repas. Ce n’était pas par hasard. Pourquoi ? Parce que le fait de manger ensemble rapproche les cœurs.

Notre père spirituel, le Père Matta el-Maskine (ancien supérieur du monastère) nous a raconté des dizaines de fois comment les diplomates, lorsqu’ils veulent discuter d’un sujet épineux et qu’ils veulent arriver à un accord, se mettent à discuter du problème au cours d’un repas.

Il nous a souvent raconté cela pour nous dire l’importance du réfectoire monastique ; quand on mange ensemble les cœurs se rapprochent, il y a quelque chose qui se passe à un niveau qui ne dépend pas de la logique humaine, pourquoi ? Je ne saurais pas le dire.

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Et pourtant vous ne vous parlez pas au réfectoire.

Nous sommes tous en silence, mais nous sommes tous attentifs à la lecture qu’on nous lit. Cette lecture est toujours celle d’un même livre, le livre des apophtegmes des pères du désert, en arabe nous l’appelons le Jardin des moines. Ce livre contient près d’un millier d’apophtegmes. Quand il est terminé on le recommence. Cela fait qu’au bout d’une décade le moine le connait par cœur. Et quand le lecteur lit, je connais les phrases qui vont suivre dans le texte !

Qu’est-ce qu’un apophtegme ?

Les apophtegmes sont les « dits » des pères du désert et aussi des anecdotes qui ont un sens spirituel. Ce n’est pas de la haute spiritualité, mais ils ont un sens caché très important. C’est pour cela qu’on nous les lit pendant que nous mangeons. Cela ne demande pas une grande concentration. Mais très souvent ils contiennent des choses très profondes et très importantes pour notre vie. Donc il faut goûter à cela !

Quelle est la différence entre de ces fameuses agapes dans les siècles passées et celles d’aujourd'hui au monastère.

Elles ont toujours été en silence. Il y avait une lecture, parce que dans notre ancien réfectoire archéologique, il y a aussi un pupitre.

Ce qu’on offre au réfectoire sans doute maintenant, n’est pas aussi ascétique que dans les temps anciens. Jusqu’à aujourd’hui, on n’offre pas de viande au réfectoire sauf aux trois grandes fêtes : Noël, Pâques et Épiphanie. Ce sont d’ailleurs, les trois seules fêtes où nous avons le repas après la messe de minuit. Chez les moines Coptes ce sont les seules occasions où la viande est servie dans le réfectoire. Normalement, au cours de l’année, on la distribue dans les casiers des moines, qui peuvent l’emporter dans leur cellule, ou pas ! Cela permet une certaine discrétion, car des moines choisissent de ne pas manger de viande. Si elle était proposée au réfectoire, c’est devant toute la communauté que le moine se priverait de viande. Ce n’est pas évangélique. « Quand tu veux jeûner, lave-toi bien la tête, parfume-toi la tête pour que tu ne paraisses pas devant les gens jeûner et ne fais pas comme les hypocrites qui quand ils jeûnent ils se donnent un air sévère, etc… ». La religion de Jésus Christ est toute intérieure. Elle demande à ce qu’on ne déclare pas devant les autres qu’on prie, qu’on jeûne ou qu’on donne l’aumône.

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Existe-t-il une règle au monastère ?

Ici en Égypte, nous n’avons eu que les règles de St Pacôme. Les pacômiens avaient des règles très précises. Elles ont beaucoup inspiré St Basile qui a aussi institué des règles. Elles ont aussi inspiré un peu St Benoit, le patriarche du monachisme occidental.

Ici par contre cela n’a pas beaucoup duré. Les règles de St Pacôme n’ont été utilisées      jusqu’au VIIIe, IXe siècle. Ce qui a persisté, c’est le monachisme selon le mode de St Macaire : intermédiaire entre la vie anachorétique et la vie communautaire. St Macaire n’a pas mis de règle et aucun de ses successeurs non plus.

Par contre le père spirituel a toujours eu une grande importance ici en Orient, beaucoup plus qu’en Occident. Le père spirituel, c’est lui la règle vivante qui donne une impulsion spirituelle au monastère. Il fait progresser chaque moine en s’adaptant à lui. Celui qui est tout à fait débutant, le père spirituel s’adapte à ce qu’il est. Et celui qui est « avancé », le père spirituel aussi le fait avancer un peu plus. Le père spirituel doit lui aussi toujours progresser spirituellement.

Le régime des jeunes moines est-il différent de celui des anciens ?

Le jeune moine (novice) participe à toute la vie communautaire, au réfectoire, à l’église, à la bibliothèque. Il est habillé en bleu ou en marron et c’est petit à petit qu’il apprend à se comporter. Bien sûr il a un père spirituel, le maître des novices (pour employer des expressions qui nous sont communes) qui le suit progressivement. Quand le jeune a des questions - et c’est très souvent que les jeunes ont des questions - il les pose à son père spirituel qui lui indique comment se comporter. Petit à petit il apprend la réponse à la majorité de ses questions et son besoin de se faire diriger diminue progressivement.

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Existe-t-il des vœux ?

Nous n’avons pas de vœux à proprement parler. Dans la consécration monastique, le moine a un rôle « passif ». On le couche par terre. On le recouvre d’un voile et on dit des prières comme on le fait pour les morts. Ensuite, le supérieur le relève. Il lui donne un nom nouveau et un nouvel habit, puis une nouvelle ceinture. Chacune de ces pièces a un sens. Le plus important est son nouveau nom. Il devient un homme nouveau.

On a souvent comparé dans le « Jardin des moines » (le livre des apophtegmes des Pères du désert) la grâce qui est donnée au moine au moment de sa consécration monastique avec la grâce qui est donnée aux nouveaux chrétiens au baptême. Ici et là, c’est un homme ancien qui disparaît et un homme nouveau qui renait.

Votre vie est-elle communautaire ou érémitique ?

Nous vivons en communauté, mais chacun de nous a une cellule indépendante, dans laquelle il y a une petite cuisine, une salle d’eau, un bureau et une chambre. Cela fait que chaque moine, s’il le veut, peut passer toute une semaine dans sa cellule sans être obligé de sortir. Il suffit qu’il dise à un autre moine de lui mettre sur la porte ce qu’il faut pour manger et puis c’est tout. Nous sommes solitaires, mais nous vivons dans un même monastère : nous avons aussi une partie de notre vie qui est commune. Normalement, nous participons tous les jours à un seul repas pris au réfectoire, les autres sont pris individuellement dans la cellule. C’est pour cela que nous sommes semi solitaire, semi cénobite.

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Comment s’intègre le travail dans votre vie?

Le moine est un homme tout à fait ordinaire qui travaille. Il gagne son pain. Il y a juste quelques solitaires qui vivent dans des grottes ou des ermitages. Parmi ceux-ci, il y en a qui copient des manuscrits ou font des traductions. Mais 95% des moines travaillent au monastère.

Certains travaillent à la ferme, dans l’agriculture, à l’usine des dattes, il y en a qui sont à l’imprimerie, d’autres qui font la cuisine pour toute la communauté, ou pour nos ouvriers. Il y a aussi ceux qui reçoivent les visiteurs. On a des travaux très divers.

Dans le Jardin des moines nous avons très souvent des paroles, des apophtegmes qui disent que le moine doit travailler pour se nourrir et pour donner à ceux qui ont besoin.

Nous avons un apophtegme avec des moines messaliens (IVe siècle) qui étaient venus voir un ancien en lui disant : « ah, tu travailles ? Nous avons choisi de faire comme l’apôtre de prier en perpétuité » et ce moine leur demande « et vous priez en perpétuité ? moi je vais vous dire comment je prie en perpétuité, moi tout en travaillant, je dis « mon Seigneur Jésus aie pitié de moi », est-ce que cela n’est pas de la prière ?

- oui cela est bien de la prière. Et ensuite de mon travail je reçois tel argent pour ma subsistance, je prends la moitié et l’autre moitié je la mets à la porte de ma cellule pour ceux qui ont besoin. Ainsi pendant que je dors ou pendant que je mange celui qui a pris l’autre moitié, il prie pour moi à ma place. Alors de cette façon je pratique la prière continuelle. Mais dites-moi, vous, est-ce que vous mangez ? Oui, est-ce que vous dormez ? Oui et qui prie à votre place pendant que vous mangez et que vous dormez ? »

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À quoi sert ce travail en plus de nourrir la communauté ?

Il y a une société de bienfaisance qui a été fondé par le père Matta el-Maskine à laquelle le monastère contribue un petit peu, on ne peut pas dire que le monastère entretient cette société de bienfaisance. Elle est organisée par des moines du monastère, mais elle reçoit aussi des dons d’autres personnes.

Que vous apporte la communauté, vos frères ?

La tradition a bien montré pour qu’un ermite - qui vit de manière tout à fait solitaire - doit être très solide spirituellement pour ne pas être la proie des élucubrations des démons, des tentations. Le Jardin des moines est plein d’histoires de moines qui ont demandé à s’isoler complétement et puis ensuite, qui ont été le jeu des démons. Alors quand on vit ensemble on se corrige, on a un père spirituel qui vous dit : «  non cette vision ce n’est pas une vision spirituelle, c’est une vision donnée par des démons pour te faire sortir du droit chemin. »

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Quand on habite dans un monastère clos de murs, a-t-on le sentiment d’être libre?

Bien sûr ; la liberté est intérieure. Ce qui entrave la liberté ce sont les passions. C’est ainsi que nous comprenons la liberté dans toute la tradition monastique, et même dans l’évangile. Jésus, quand les Juifs lui ont dit : « tu parles de liberté, mais nous n’avons jamais été soumis à d’autres, nous sommes libres », il leur a dit, répondu : « Celui qui pratique le péché est esclave du péché, mais si le Fils de l’homme vous libère alors vous êtes libre en vérité. » La vraie liberté c’est la liberté de s’élancer vers le Seigneur, librement, sans aucune entrave, c’est ça la vraie liberté.

La plupart des moines quand ils sont obligés d’aller au Caire ou ailleurs pour un examen médical par exemple, c’est ce jour où ils n’ont plus de liberté. Ce jour-là justement, ils se sentent entravés. Dans les premières pages du Jardin des moines, St Antoine nous dit que le moine qui sort de sa cellule est comme un poisson hors de l’eau. À plus forte raison un moine qui sort du monastère, a de la difficulté à respirer comme un poisson qui est hors de l’eau. Quand il est sur le chemin du retour, il recommence à respirer, il retrouve sa liberté !

Que représente la cellule pour vous ?

Pour la majorité des moines, ils écrivent (physiquement ou mentalement) au-dessus de la porte de leur cellule un verset du Cantique des cantiques : « Je suis à mon bien-aimé et mon bien aimé est à moi ». Alors le moine, une fois qu’il a terminé son travail - si c’est un bon moine  -  s’empresse de retourner à sa cellule où il retrouvera son intimité avec son bien-aimé.

Un moine qui n’est pas tout à fait dans le bon chemin, le travail terminé, il va voir ceci, il va visiter un autre moine. S’il prend son temps pour retourner dans sa cellule, c’est le signe qu’il n’est pas dans la bonne voie. Alors son père spirituel lui dit que cela doit être arrangé.

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Pourtant en son frère on retrouve un visage du Christ, quand on va voir, visiter une autre personne, c’est aussi dire à la personne « tu as du prix à mes yeux ».

Bien sûr pendant toute la journée, pendant tout le travail, on ne cesse pas d’avoir des contacts les uns avec les autres et avec les ouvriers aussi. On voit le visage du Christ très souvent dans les ouvriers, encore plus que dans les moines, car les ouvriers sont pauvres. Ils ont besoin d’un mot d’encouragement. On voit le Christ dans les ouvriers, on voit le Christ dans nos frères. Mais dès qu’on a la possibilité de retourner à son bien-aimé en cellule on y accourt très rapidement.

C’est parce que l’on est en relation intime avec son bien-aimé, qu’on peut le voir facilement sur la figure des frères. C’est lorsque l’on n’est pas en bonne relation avec son bien-aimé, qu’il est beaucoup plus difficile de le reconnaître sur la figure des frères : je trouve que ce frère-là, il grimace, cet autre frère ne m’est pas sympathique... Pourquoi ? Parce que je n’arrive pas à voir à travers la figure du frère la figure de mon bien-aimé.

Quel est votre lien avec tous les gens qui sont à l’extérieur?

Il y a le lien secret. Plus les liens visibles augmentent et moins le lien secret est intense.

Actuellement au XXIe siècle, les nouvelles pénètrent au plus profond du désert. Vous connaissez, malgré vous, tout ce qui se passe dans le monde. Vous savez que ND de Paris est en flammes, vous savez toutes les difficultés qu’il y a dans l’Église catholique, ou entre Moscou et Constantinople… Sans nécessairement lire les journaux, sans se mettre devant une TV. On en sait toujours beaucoup plus qu’il ne faut pour prier.

Si je ne priais pas pour le monde, inutile de le dire, je ne remplirais pas ma fonction de moine. Un moine qui ne prie pas pour le monde, n’est pas un moine, ce n’est rien. Isaïe dit : « Sur tes murs Jérusalem j’ai posté des veilleurs. Veilleurs de Jérusalem ne prenez pas de répit et ne laissez pas le Seigneur prendre de répit jusqu’à ce qu’il rende Jérusalem une gloire pour Lui ». Alors les moines sont justement ces veilleurs qui sont sur les murs de Jérusalem. Jérusalem c’est l’Église. Au sens plus large l’humanité, c’est Jérusalem.

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Après vos 50 années de vie monastique, voyez-vous Dieu différemment ?

Après toutes mes années de vie monastique, je ne vois pas Dieu différemment. Mais je peux dire que je le vois plus clairement. C’est la même vision, c’est le même Dieu que je connaissais à l’âge de 4 ans. Mais c’est peut-être plus clair et plus facile d’entrer en contact avec Lui. Au début de la vie spirituelle, il n’est pas facile de commencer à prier, on a besoin d’un long temps où l’on prie selon des formules apprises par cœur, pour entrer petit à petit dans l’atmosphère de la prière. Mais plus le temps passe, ou plus la grâce agit - parce que le temps n’est pas toujours le facteur essentiel, un jeune moine peut par la grâce arriver plus facilement et plus rapidement qu’un ancien moine. Plus la grâce agit, plus il est plus facile d’entrer en communion avec le Seigneur.

Pour vous quel est le « secret » de la vie monastique ?

Je pourrais vous dire qu’il y a un secret dans la vie monastique, dans la vie solitaire. Dans cette mesure, il se sent en communion plus intense avec, je ne peux pas dire avec le monde entier, mais avec le genre humain, avec la nature humaine. Il a le sentiment de l’Adam complet. Il sent que lui-même est Adam. Il sent que tout être humain dans toutes les nations du monde, c’est la même chose, c’est toujours Adam qui est créé par le Seigneur, qui est voulu par le Seigneur. Qui, le sachant ou ne le sachant pas, a une secrète attirance vers le Seigneur, qu’il arrive ou qu’il n’arrive pas à étancher. Le moine sent que lui-même est Adam, il sent que lui-même est l’être humain dans toutes les nations de la terre.

Ça c’est le secret de la vie monastique dans la mesure où elle est vécue en profondeur et solitairement. Moins on est solitaire et plus on vit en surface de soi. Plus on vit la vie solitaire et plus on vit beaucoup plus profondément ce que l’on est. C'est-à-dire non pas un individu mais on est Adam. Le moine est Adam, il sent que tout le monde ne lui est pas extérieur. Le monde c’est moi, le monde c’est Adam, et Adam c’est moi. Le général et le particulier se superposent dans la vie monastique.

Le Père Matta el-Maskine a très souvent expliqué comment quand il est solitaire, il lit l’Ecriture sainte d’une façon tout à fait différente. Il sent que lui-même est Moïse, lui-même est Abraham, lui-même est l’Homme. Toute l’Ecriture Sainte, c’est l’histoire de la relation entre l’Homme, c'est-à-dire lui-même, et Dieu. Ça vaut aussi bien pour l’humanité entière. L’humanité entière, c’est un seul homme : Adam à travers l’espace, et à travers le temps, depuis Adam jusqu’à ceux qui seront créés encore après. C’est toujours le même Adam, c’est toujours la même histoire, la même tragédie, mais une tragédie pleine d’espérance.

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Qu'est-ce qui vous rend heureux aujourd'hui ?

Aujourd'hui et depuis le jour où je suis entré au monastère, c’est la même chose.

Il n’y a pas de créature plus heureuse que celle qui a le sentiment qu’elle réalise ce pour quoi elle a été créée. Quand vous prenez un oiseau et que vous l’attachez par la patte, vous avez beau lui donner tout ce qu’il aime, un concombre, des graines de blé... il ne va pas gazouiller. Il va quand même être triste. Détachez son pied, il va s’envoler dans l’air en chantant. Pourquoi ? Parce qu’il sent qu’il réalise ce pour quoi il a été créé. Ce sentiment rend la créature plus profondément heureuse.

Quand un être humain sent qu’il réalise ce pour quoi il a été créé, il est le plus heureux être dans l’existence. Alors vous me demandiez qu’est-ce qui me rend heureux, c’est le sentiment de réaliser ce pour quoi, moi être humain, moi Adam - je suis Adam - j’ai été créé.

J’ai été voulu par le Seigneur de toute éternité, avant qu’il ne dise « que la lumière soit », avant le premier mouvement du big-bang. Avant tout cela, au début de tout cela l’être humain a été voulu comme couronnement de la création. Et l’être humain qui s’unit à Dieu a été voulu comme couronnement du genre humain et de toute la création. Le fait de sentir qu’on réalise ce pour quoi, toute la création, tout le cosmos a été créé et ce pour quoi, tout le cosmos a été voulu. Vous imaginez le bonheur que cela peut donner à l’être humain.

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Que trouvez-vous de difficile dans la vie monastique ? 

J’ai souvent entendu dire que la vie monastique est difficile, mais il n’est pas facile maintenant de trouver ce qui est difficile ! Quand on a goûté au bonheur dont je parlais, toutes les difficultés disparaissent simplement.

Lorsque je suis venu au monastère comme jeune laïc, un ancien moine qui était aveugle, passait tout son temps en prière dans le donjon du monastère. Un jour, je m’y suis glissé pour entendre ce qu’il disait ; mais il était aveugle mais ses oreilles avaient une ouïe très aigüe. Il a immédiatement senti qu’il y avait quelqu'un :

« Qui est là ? – je reste en silence.

- Je dis qui est là ? - je dis c’est moi mon père

- Que viens-tu viens faire ? – je viens visiter le monastère, je voudrais que tu pries pour moi parce que je voudrais être moine.

- Être moine ! La vie monastique est difficile, retourne au monde, la vie monastique est difficile !»

C’était la première chose que j’ai entendu ici : la vie monastique est difficile. Mais maintenant que vous me demandez quelles sont les difficultés, je suis dans l’embarras de trouver quelles ont été ces difficultés. Parce que le bonheur de la vie monastique est là pour aplanir toutes les difficultés. On ne les sent plus !

© itw du père Wadid par thomas Wallut

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