"La présence arménienne dans ce monde est un grand miracle"

Catholicos Aram Ier : « La présence arménienne dans ce monde est un grand miracle ».

(Interview du Catholicos de Cilicie, donnée en septembre 2017, dont des extraits ont été diffusés dans le documentaire de l’émission Chrétiens Orientaux « Renaissance des Arméniens au Liban » diffusé le 22.04.2018 sur France 2)

 

 Thomas Wallut (Chrétiens Orientaux - France 2) : Sainteté, cent trois ans après le génocide, quelle est la place du Liban dans le cœur des arméniens ?

S.S. Aram Ier : Le Liban à une place particulière, car après le génocide arménien, le pays est devenu le centre, la source de la renaissance - ou pour utiliser le mot plutôt biblique ou théologique - de la résurrection du peuple arménien.

Imaginez le génocide arménien : souffrance, massacre, les morts… Après cette triste page de notre histoire, les libanais - chrétiens et musulmans - ont accepté les survivants du génocide, y compris des milliers d’orphelins.

C’est grâce à cela que la communauté arménienne du Liban est devenue le centre de la diaspora arménienne. Dans ce cadre-là, l’Eglise Arménienne et particulièrement le Catholicossat de Cilicie a joué un rôle crucial, non seulement ici au Liban mais partout dans le monde.

Quel a été le rôle de l’Eglise ?

Imaginez notre situation après le génocide. L’Eglise a établi des orphelinats, des églises, des écoles, des organisations humanitaires. Elle a joué un rôle central dans la reconstruction, la formation de la communauté. Ce rôle n’était pas seulement dans le domaine spirituel, mais aussi dans tous les aspects et les problèmes de la vie communautaire.

Je pense qu’il faut remercier pour leur aide - par les moyens des organisations humanitaires - les français, les suisses, les allemands et les anglais. Ils ont particulièrement aidé notre Catholicossat pour ses engagements humanitaire et social.

Pour l’Église Arménienne, c’était une priorité absolue de sauver le peuple et de lui redonner cette Espérance. On ne peut pas vivre sans Espérance.

Peut-on peut dire que l’église est aussi une rescapée du génocide ?

Oui, l’Église en Cilicie et dans l’empire ottoman était au centre de notre communauté. Le gouvernement ottoman la reconnaissait comme le représentant de la communauté arménienne. Sis était un centre de rayonnement.

Le catholicossat a été forcé par l’armée ottomane de quitter la ville de Sis. Vous pouvez imaginer le traumatisme. C’est un point tournant dans notre histoire contemporaine. Cà a été un défi de réaffirmer et réorganiser le témoignage de l’Église. 

Notre Seigneur Jésus-Christ a beaucoup souffert. Pour les chrétiens, la Croix est un symbole de souffrance mais en même temps c’est un symbole de l’Amour et de l’Espérance. C’est pour cela que dans la foi chrétienne, la Croix et la Résurrection doivent être ensemble, parce qu’il n’y a pas de Résurrection sans Croix et la Croix n’est pas seulement la manifestation de l’engagement chrétien, mais celle de la foi.

aram genocide

La présence arménienne dans ce monde est un grand miracle. Comment on peut survivre après ce génocide, les massacres, les souffrances ? C’est grâce à la foi chrétienne. Elle est source de la culture arménienne.

Quelle est la vocation de l’Eglise aujourd’hui ?

Notre vocation est d’être avec le peuple. Etre témoin des valeurs, des Traditions et des idéaux chrétiens.

L’Église n’a pas « une » mission. La mission de l’Église est la mission de Dieu, envoyée par le Christ. Il faut voir la mission de l’Église Arménienne dans cette perspective. C’est pour cela, que l’Église Arménienne est profondément engagée dans tous les domaines de la vie du peuple arménien. Elle est une Église nationale par excellence. Ça veut dire que pour les arméniens l’Eglise n’est pas seulement une institution spirituelle, mais aussi une institution communautaire. On ne peut pas mettre une ligne de démarcation entre le peuple arménien et l’Eglise Arménienne.

Pendant sa vie terrestre, le Christ a eu un engagement social très important. La vocation l’Église est d’être toujours engagée dans un combat spirituel, mais, aujourd'hui comme hier, pour notre Catholicossat, cet engagement social reste toujours une priorité absolue.

Sainteté, vous êtes un descendant de rescapés, Que  signifie pour vous, cent ans après, d’être, d’être le pasteur qui conduit cette Église ?

Le génocide est tellement enraciné dans notre mémoire collective et dans notre vie, que dans notre perspective, être arménien, ça veut dire que vous êtes un survivant du génocide.

Je me souviens mes grands-parents, lorsqu’ils racontaient le génocide. Il a vraiment touché leur vie existentielle. Leur message, et je crois celui des grands-parents de tous les arméniens, est simplement qu’il ne faut pas oublier le génocide. Il faut continuer ce combat : spirituel, intellectuel, culturel, politique et juridique. Nous avons une cause qu’ils nous ont donnée comme un héritage sacré.

Quelle est cette cause ?

C’est la justice. On ne peut ignorer notre passé, il y a eu un génocide bien planifié, bien organisé et bien exécuté par l’empire ottoman ; c’est le fait historique, on ne peut pas cacher ça !

La justice, c’est le don de Dieu. C’est pour cela, que l’Église Arménienne a toujours joué un rôle très important dans la cause arménienne. La restauration de la paix avec justice est la vocation de l’Église.

aram 2017

Quel est votre message aux jeunes de la 4e, 5e génération qui sont nés longtemps après le génocide ?

Je crois en la jeunesse. Elle doit avoir un rôle central dans la vie de notre Église et de notre peuple. Je leur dit : gardez votre identité. Pas en isolement, mais en interaction avec votre environnement.

Au Liban, nous sommes Libanais d’origine arménienne ; en France, nous sommes Français d’origine arménienne, nous avons deux identités. Ou plutôt notre identité a deux dimensions : arménienne et locale.

Aujourd'hui particulièrement dans la diaspora arménienne être arménien ça veut dire être fidèle à ses racines et en même temps à son pays natal. Le Liban est mon pays natal, je suis libanais 100% et en même temps je suis arménien 100%, ces deux dimensions sont mon identité. C’est une source d’enrichissement. La jeunesse doit être fidèle aux valeurs, aux traditions, aux identités arméniennes. Et en même temps elle doit s’engager dans la société où elle vit. Je suis contre les ghettos – isolement ou marginalisation. Pour nous c’est un grand défi d’établir cette interaction entre les deux dimensions de notre existence.

Vous avez deux poumons ?

Exactement, c’est ça !, deux parts de notre cœur. C’est très important, c’est notre réalité. Dans la diaspora  le seul moyen d’être arménien, c’est la fidélité envers son pays natal mais aussi à son identité, à nos racines arméniennes.